La brume

Square

Elle cherche.
Elle cherche un lieu.
Elle cherche un lieu qui n’existe pas.
Elle se perd.

Quelques territoires oubliés du monde sont appelés « forêts des brumes ». Ce sont des lieux fantômes saturés d’eau. Ce sont des lieux qui transpirent abondamment.

Les salamandres, grenouilles de verre et grandes vipères y vivent heureuses. Elles se déplacent, se nourrissent, se reproduisent. Elles sont vivantes.

Elle aimerait que son corps soit un monde. Elle aimerait que son corps oublie quelques territoires et laisse les températures jouer plus aigu, qu’il admette le passage de l’air au-dessus de la surface froide, qu’il se gorge de cristaux. Elle aimerait devenir un lieu. Un nid de mousse. Elle aimerait transpirer le vivant en masse brumeuse, que tout ruisselle et s’agglutine. Que les cellules se divisent, se multiplient. Que le lieu soit humide, chaud et généreux. Qu’il existe.

Comment sentir que l’on existe ?

Elle appelle les salamandres, grenouilles de verre et grandes vipères par leurs petits noms. Elle met des mots sur chaque partie de son corps car c’est la seule chose qu’elle sait faire. Elle nomme le lieu qui n’existe pas.

Elle l’espère.

J’ai écrit ce texte en 2024 lors d’une résidence de recherche texte-musique-danse avec les artistes Lara Oyedepo et Mélissa Verdoux. A l’heure où de nouvelles formes d’intelligences modifient notre perception du monde, nous nous sommes demandées : comment ressentir, comment bouger, aimer, entrer en contact avec l’autre quand les frontières entre le tangible et l’invisible vacillent ? Comment s’affranchir des codes et inventer un nouveau chemin de désirs ? Et si les corps dansants étaient un moyen narratif de perturber le contrôle établi ? Et si les humain.es qui racontent dévoilaient les failles d’un système automatisé ?

Photographies : Andréa Courtial
Musique : Lara Oyedepo